C’est avec éloquence et efficacité que Luc de Brabandere s’est distingué au BAM Marketing Congress 2024. Philosophe d’entreprise, Fellow au Boston Consulting Group et auteur renommé, il a donné du grain à moudre aux créatifs et créatives du monde du marketing avec une présentation du même nom que son dernier ouvrage : The Art of Thinking in a Digital World.
S’appuyant sur des décennies d’expérience à explorer les intersections entre la créativité, la technologie et la philosophie, il a décortiqué les mécanismes qui mènent à l’innovation – et les pièges de la pensée qu’on peut rencontrer sur le chemin. Avec une approche mélangeant pragmatisme et profondeur intellectuelle, Luc de Brabandere met en évidence l’importance de comprendre sa propre créativité pour évoluer dans un monde en constant changement.
Penser, c’est simplifier
« Vous ne voyez pas le monde tel qu’il est, mais tel que vous êtes », affirme Luc de Brabandere pour poser les bases de son intervention. Selon lui, penser est un acte de simplification, indispensable pour comprendre et agir dans un environnement complexe. Il illustre cette idée en expliquant que des concepts comme la segmentation de marché ou la comptabilité ne sont que des interprétations simplifiées de la réalité : « La segmentation n’est pas le marché ; la comptabilité n’est pas la réalité financière. Nous ne pouvons pas appréhender toutes les variables en même temps, donc nous créons des représentations que nous utilisons pour parvenir à comprendre des systèmes complexes. »
C’est ainsi que Luc De Brabandere introduit deux méthodes fondamentales de pensée :
- L’induction, qui crée des idées nouvelles en réinterprétant la réalité. Cette méthode ouvre la porte à la créativité et permet de voir le monde différemment.
- La déduction, qui s’appuie sur des cadres préétablis pour réaliser des tâches. Elle est essentielle pour optimiser et mettre en œuvre des solutions.
Ces deux approches, bien que complémentaires interagissent différemment avec la pensée : « L’induction vous libère et vous permet de voir le monde autrement, tandis que la déduction agit comme une prison qui vous maintient dans les cadres existants. Si je vous demande de me donner un exemple de voiture, vous avez la liberté de répondre n’importe quelle marque ou modèle. Mais si je vous demande de quoi une voiture est un exemple, je vous emprisonne dans une réponse : la voiture est un exemple de véhicule. »
La créativité, moteur de la transformation digitale
Pour Luc de Brabandere, la créativité et l’innovation, souvent confondues, jouent des rôles distincts dans la transformation – digitale ou non. « La créativité change notre façon de voir les choses, tandis que l’innovation, elle, améliore les choses elles-mêmes. » Dans un monde où la technologie bouleverse les industries, la créativité est essentielle pour imaginer de nouveaux possibles.
« La créativité est la manière de relancer l’innovation. » – Luc de Brabandere
Il souligne les dangers d’appliquer de vieux modèles de pensée à de nouvelles technologies : « Les premières locomotives ressemblaient à des calèches car les gens ne pouvaient pas encore imaginer l’avenir. Le danger, c’est de plaquer des vielles idées sur une technologie nouvelle. »
Ce message résonne particulièrement à une époque où l’intelligence artificielle et la digitalisation redéfinissent non seulement le secteur du marketing, mais aussi l’industrie dans son ensemble. Toutefois, Luc De Brabandere est convaincu que, malgré leurs prouesses techniques, les machines ne font pas le poids face à la créativité humaine : « L’IA peut imiter, traiter et optimiser, mais elle ne peut ni inventer ni imaginer. » Pour lui, les algorithmes sont dans le domaine de la déduction. L’IA générative amasse des données, crée des liens et comprend des modèles, puis elle les reproduit, mais pour Luc de Brabandere : « Le marketing n’est pas dans la déduction, c’est un marché inductif basé sur le langage, la perception, l’imagination. Son rôle va être de plus en plus important parce que la déduction va être sous-traitée aux machines. Le métier du marketing, c’est de travailler la perception des clients. »
Parfois, tout n’est qu’une question de perspective. Luc de Brabandere cite l’exemple de BIC. À l’origine, la marque n’avait qu’un produit : le simple stylo-bille, un concept difficile à réinventer. Mais le stylo-bille n’est pas qu’un objet d’écriture, c’est également un objet jetable. C’est ainsi que, par une poussée d’induction, la marque a étendu son offre en fabriquant d’autres objets jetables tels que des briquets. De même pour San Pellegrino, qui était initialement perçue comme une entreprise de boissons. La marque a opéré un changement de paradigme en adoptant une approche orientée vers les données. « Je ne suis plus dans le secteur de l’eau minérale, je suis dans le secteur des données » ouvre tout un nouveau monde de possibilités pour une marque cloîtrée dans une industrie. En collectant et en analysant des informations sur la consommation d’eau, San Pellegrino a redéfini sa mission et exploré de nouvelles opportunités.
Ce repositionnement exemplifie la nécessité d’une réflexion inductive pour réussir la transformation digitale. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser la technologie pour améliorer des processus existants, mais de redéfinir fondamentalement ce qu’une entreprise peut être.
La rigueur dans un monde sans chiffres
En tant que philosophe d’entreprise, Luc de Brabandere défend la rigueur là où les chiffres sont absents. « En comptabilité, les chiffres permettent d’être rigoureux. Mais dans d’autres domaines comme l’ambiance ou l’esprit d’équipe, il faut lutter contre le flou en utilisant des définitions précises. » Cette rigueur intellectuelle est cruciale pour structurer la pensée et développer des stratégies pertinentes.
« La créativité consiste souvent à rappeler les règles et à montrer des exemples, et c’est exactement ce que je fais dans mes présentations. C’est une manière de relancer l’innovation quand celle-ci s’épuise. » – Luc de Brabandere
Penser davantage
Pour conclure, Luc de Brabandere insiste sur le fait que la technologie, loin de nous dispenser de penser, nous oblige à réfléchir plus : « La technologie n’est pas une excuse pour penser moins, mais une obligation de penser davantage. » Son message est clair : les nouvelles technologies doivent être accompagnées d’une capacité humaine à innover et à créer de nouvelles perspectives.
Son dernier livre, The Art of Thinking in a Digital World, approfondit ces concepts et se pose comme un géographe dessinant des cartes pour nous aider à nous repérer dans ce nouveau paradigme de la pensée. L’ouvrage explore trois dimensions de la pensée — la logique, la créativité et l’esprit critique — et montre comment les entreprises peuvent les utiliser pour transformer leur façon de travailler et d’innover.
Avec des exemples pertinents et des citations percutantes, Luc de Brabandere a laissé une impression durable au BAM Marketing Congress, rappelant aux marketeurs que la clé du succès dans un monde digital ne réside pas uniquement dans la technologie, mais dans la capacité à penser autrement.